Le pouvoir des secrétaires

Humble, le métier de secrétaire? Détrompez-vous. Ces professionnelles remplissent des tâches de plus en plus stratégiques et agissent souvent au nom du patron. Bref, on ne confie plus ce rôle à n’importe qui.

C’était du sérieux, l’Opération Écrevisse : trois ans d’enquête, 81 arrestations et des saisies comprenant six kilos de cocaïne, une centaine d’armes à feu, près de un million de dollars en argent liquide ainsi qu’un avion et un hélicoptère. Le démantèlement de ce réseau de trafic de drogue en Abitibi-Témiscamingue en 2010 n’aurait jamais été possible sans Josée Villeneuve… une secrétaire à la Sûreté du Québec.

La femme de 51 ans est modeste – «J’ai juste l’impression d’avoir fait mon boulot» –, mais son supérieur, le sergent Stéphane Mailloux, ne tarit pas d’éloges. «Sa charge de travail a explosé pendant l’opération. Du jour au lendemain, elle s’est retrouvée avec un bureau temporaire installé dans un sous-sol, avec 16 enquêteurs au lieu de 5. En trois ans, elle a lu, résumé et trié plus de 15 000 rapports.» Sa contribution à l’opération est telle que la Sûreté du Québec lui a remis un prix en 2011.

Rares sont les secrétaires qui voient la qualité de leur travail ainsi récompensée. Ces Wonder Women du bureau – en 2011, 97 % des 97 000 secrétaires du Québec étaient des femmes, selon Emploi-Québec – sont pourtant dignes d’admiration. Car contrairement à ce que trop de gens pensent encore, elles font mille fois plus que taper des lettres, répondre au téléphone et préparer des présentations PowerPoint. Et sans elles, nos bureaux seraient en proie au chaos.

Sceptique? Pensez-y bien. Si vous travaillez dans une PME, c’est possiblement une adjointe administrative qui s’occupe de votre paye, des comptes clients et des états financiers mensuels. Dans plusieurs compagnies, c’est aussi une secrétaire qui effectue le premier tri des candidatures lors de l’embauche, sélectionne les fournisseurs de matériel de bureau et – avec l’expérience – incarne la mémoire de l’entreprise.

Notre taux de placement est de 95 %. Il y aurait des emplois pour les 5 % restants, mais ce sont des personnes qui changent de domaine.
— Marie-Andrée Savoie, directrice adjointe aux Collèges de comptabilité et de secrétariat du Québec

Une secrétaire représente un véritable «filet de sécurité» quand le patron est brouillon, note Emily Gourley, conseillère chez ZSA Recrutement Juridique. «Certains dirigeants sont brillants, mais complètement désorganisés… L’adjointe veille à la gestion efficace de leur temps.»

Remplir avec brio ces tâches officielles et officieuses exige des qualités hors du commun. «Une bonne adjointe demeure toujours professionnelle et courtoise avec les clients, pour qui elle représente souvent le premier point de contact avec l’entreprise. C’est une experte en bureautique, à l’aise avec les logiciels de traitement de texte, de comptabilité ainsi qu’avec les bases de données et l’administration de sites Web. Elle maîtrise parfaitement le français et l’anglais – souvent mieux que son patron. Elle n’oublie rien et connaît la routine de son employeur ainsi que son style de rédaction, puisqu’elle écrit souvent en son nom.»

Vous pouvez lever la main? Pas moi.

De dactylo à chef de bureau

Louise Bouchard, elle, peut porter ses deux bras en l’air. La chef de bureau à la Fondation du Grand Montréal possède 42 ans d’expérience dans le domaine. Elle sait gérer l’emploi du temps d’un président d’entreprise tout en s’occupant «de sa femme, de ses enfants, de ses activités caritatives et de son inscription au club de golf», sans négliger les clients, la comptabilité et la négociation du prix des fournitures de bureau.

Son travail, Louise l’adore, mais elle ne l’a pas choisi. «Je viens d’une famille nombreuse et, quand j’ai eu 16 ans, mon père a décidé que je serais secrétaire pour ramener de l’argent à la maison.» Elle a commencé dans un pool, soit dix filles assises en rang qui tapaient des polices d’assurance sur des machines à écrire Underwood à longueur de journée. Lorsque la secrétaire de son boss est tombée malade, elle a pu la remplacer grâce à la qualité de son français et de sa dactylographie. Sa carrière était lancée.

Au fil des ans, elle a vu la profession évoluer tranquillement. Non seulement sur le plan des tâches, mais aussi des conditions de travail. «Au cours des années 1980, les secrétaires ont fait comprendre qu’elles n’avaient pas à ramasser les chemises du patron chez le nettoyeur ni à promener son chien. Et elles ont commencé à dénoncer le harcèlement dont certaines étaient victimes.»

Du côté du salaire, les secrétaires sont passées de «presque rien» à une échelle allant de 25 000 à 75 000 $ par année, en fonction de l’expérience et des responsabilités. «Plus les avantages sociaux, les rabais d’entreprises et les vacances», indique Emily Gourley.

Peu de candidates

Malgré tous ces progrès, le métier demeure peu valorisé. Les jeunes qui possèdent les compétences d’une «candidate étoile», comme les appelle Emily Gourley, sont rarissimes et boudent la profession en croyant – à tort – que c’est un métier facile qui comporte peu de responsabilités.

«D’autres commencent comme secrétaires, puis évoluent vers un autre poste dans la même entreprise. Une secrétaire juridique, par exemple, peut devenir technicienne juridique.» Résultat : le bassin de candidates talentueuses diminue constamment. Emily Gourley sait de quoi elle parle : elle-même a fait ses premières armes comme adjointe administrative chez ZSA Recrutement Juridique avant de devenir recruteuse.

Les diplômes menant habituellement au métier sont le DEP en secrétariat ou le DEC en techniques de bureautique. Mais depuis quelques années, plusieurs établissements proposent aussi un double DEP en secrétariat et en comptabilité. «Cette formation correspond mieux aux exigences des postes d’adjointes administratives», indique la directrice adjointe aux Collèges de comptabilité et de secrétariat du Québec, Marie-Andrée Savoie.

Dans cet établissement privé installé à Longueuil, Sherbrooke et Drummondville, les enseignants insistent beaucoup sur la qualité de la langue des élèves, «qui a décliné ces dix dernières années», ainsi que sur l’attitude et le comportement. «Il y a notamment un cours de relations interpersonnelles qui aborde la gestion de conflits et les techniques de communication en fonction de la personnalité des gens.»

En 2013 au Québec, près de 3 000 personnes sont inscrites au DEP en secrétariat ou au double DEP, comparativement à 10 000 il y a quelques années, estime Marie-Andrée Savoie. Les besoins des entreprises n’ont pas diminué pour autant. «Notre taux de placement est de 95 %. Il y aurait des emplois pour les 5 % restants, mais ce sont des personnes qui changent de domaine.»

«Les besoins sont énormes, confirme Emily Gourley. Une secrétaire juridique, par exemple, trouve un emploi en trois à six jours, sans difficulté. Les cabinets d’avocats embauchent même souvent des personnes qui n’ont pas de spécialité en droit et les forment à l’interne!»

Vieux couple

«Centre de santé, un instant je vous prie.» La secrétaire Marjolaine Caron a beau me mettre en attente, impossible de lui en vouloir : elle a un sourire dans la voix. Avec ses longues journées de travail, des patients parfois impatients et un patron sujet aux sautes d’humeur, elle aurait pourtant plus d’un prétexte pour ne pas être gentille.

«Nous sommes vraiment gâtés de l’avoir avec nous depuis 21 ans», dit Yves Lévesque, un médecin de famille qui pratique à Beloeil. En plus d’endurer le côté «irritable» du docteur – il déteste lorsqu’un patient ne se présente pas à un rendez-vous –, elle fait preuve d’une extrême fidélité envers son employeur.

En retour, la secrétaire a la confiance totale du médecin. Il la laisse effectuer un premier triage auprès des patients, sans s’inquiéter. «Elle sait quelles questions je pose et elle connaît les cas que je vois ou non. Par exemple, si la mère d’un enfant malade appelle, elle demandera s’il fait de la fièvre, depuis combien de temps, etc.»

Au final, Yves Lévesque passe plus de temps avec sa secrétaire qu’avec sa conjointe. «On est rendu comme un vieux couple», blague-t-il.

Ce genre de relation privilégiée se révèle extrêmement précieuse, tant pour les secrétaires que pour leur patron. Avec les années, certains dirigeants d’entreprise n’hésitent pas à confier des tâches cruciales à leur adjointe, telle la préanalyse de rapports. Sans compter les nombreux documents confidentiels qui passent entre ses mains.

«On a parfois essayé de m’acheter, confie Louise Bouchard. Mais dans “secrétaire”, il y a le mot “secret”.»

Secrét… euh, adjointe administrative

Les mots «secrétaire» et «adjointe administrative» désignent-ils le même poste? Cela varie énormément d’un milieu de travail à un autre, mais de manière générale, l’adjointe administrative a davantage de responsabilités, dont la comptabilité. Le titre «adjointe de direction» est également utilisé pour désigner les personnes qui travaillent pour un vice-président ou un président.

Source Jobboom